jeudi 16 janvier 2014

Chronique manga: «Je ne suis pas un homme», la longue déchéance de Yôzô Ôba

«Comment Yôzô Ôba, si séduisant, intelligent et apprécié de tous est-il devenu en dix ans à peine, une épave au bord du gouffre?» C’est à cette question qu’Usamuru Furya tente de répondre tout au long des deux volumes de Je ne suis pas un homme, un manga librement inspiré d’un chef-d’oeuvre de l’écrivain japonais Osamu Dazai. 

C’est à travers les yeux (et la plume) de l’auteur que nous allons suivre l’histoire hallucinante de Yôzô Ôba, un jeune homme qui semble tout avoir dans la vie. Il est beau gosse, intelligent, est issu d’une famille bourgeoise très aisée et a un très grand succès auprès des filles. Pourtant, Ôba n’est pas le plus heureux des hommes. 

Depuis son plus jeune âge, il joue le rôle d’une personne qu’il n’est pas. Comme il le dit si bien, il endosse à la perfection le rôle du parfait «bouffon» pour se faire aimer de tous. Mais derrière son visage de garçon modeste, enjoué et farceur se cache en réalité un être tourmenté et très sombre, qui porte un regard très dur sur la société qui l’entoure. 

Au fil des pages, il fera des rencontres déterminantes qui l’attireront un peu plus au bord du gouffre. Il y aura Masao Horiki, son «meilleur ami», Papillon, une jeune hôtesse dont il tombera brièvement amoureux ou encore Shizuko, la mère célibataire chez qui il vivra quelques mois. Ôba, très manipulateur, sait tirer avantage de son physique pour arriver à ses fins. Quitte à jouer les gigolos pour avoir un toit, à manger et de l’argent. 

Une mise en scène originale 


La mise en scène est l’un des aspects qui m’a plu instantanément dans ce manga. Dans les premières cases, on peut voir Usamaru Furuya, l’auteur, se mettre en scène. Il est à la recherche d’une bonne histoire pour son prochain manga, mais ne trouve rien. C’est par hasard qu’il attérit sur le site autobiographique d’un certain Yôzô Ôba. 

C’est ainsi que nous découvrons l’histoire invraisemblable et sordide de ce jeune homme de 17 ans qui deviendra une véritable épave à l’âge de 25 ans, usé par la vie, l’alcool, la drogue et les femmes. 

La déchéance d’un homme 


Suicide, viol, alcoolisme, toxicomanie… Les thématiques abordées dans ce manga sont loin d’être légères. Tout au long de l’histoire, nous allons voir Yôzô Ôba enchaîner connerie sur connerie. Il aura quelques éclairs de lucidité, tombera sincèrement amoureux, se prendra brièvement en main. Mais il n’échappera pas à son destin... 

Au final, Ôba est un jeune homme qui se cherche, qui se questionne (beaucoup trop) sur le sens de la vie et qui n’a pas trouvé sa place dans la société. Un «génie», selon certains, destiné aux ténèbres de l’autodestruction. Ou peut-être un enfant un peu trop gâté qui n’arrive pas à apprécier les cadeaux que la vie lui offre. 

Graphiquement très abouti, Je ne suis pas un homme est un manga sombre, atypique et parfois très cru (les scènes de sexe ne laissent aucune place à l’imagination). Cette oeuvre montre un Usamaru Furuya au sommet de son art. Le style est épuré et d’une bluffante maturité. C’est un manga introspectif qui laisse place à la réflexion sur soi-même, sur autrui et sur la société en général. Un manga à découvrir, assurément.