mercredi 27 juin 2012

Critique littéraire: Nââânde!? Ils sont tofu ces Français!

Cette semaine, je vous fais découvrir un petit livre bien sympathique. Il s'agit de Nââânde!?, un bouquin à l'humour corrosif écrit par Eriko Nakamura, une ancienne présentatrice de Fuji TV installée à Paris depuis dix ans. Dans ce livre, Eriko dresse un portrait plein d’humour et d’effroi des Français, et surtout des Parisiens. Tout y passe : leur légendaire mauvaise humeur, leur manque de ponctualité et de civisme, leurs mauvaises habitudes, leur manie de faire la bise à tout le monde… La Japonaise ne prend pas de gants pour décrire sa ville d’adoption et ses habitants.


Un matin ensoleillé du mois de mai, je décide d’aller faire mon épicerie… Je sors de chez moi, tout joyeux, mon sac réutilisable à la main. Je passe devant un Renaud-Bray (je ne fais pas de pub!) et je me dis pourquoi pas aller regarder les nouveautés bouquins? En plus, c’est ma journée de congé, alors autant en profiter un peu.

Lorsque j’entre dans la librairie, je me dirige, comme toujours, vers la section des livres asiatiques… Comme d’habitude, je passe mon temps à lire les quatrièmes de couverture de romans japonais les uns après les autres : Haruki Murakami, Ryu Murakami, Yukio Mishima et j’en passe. Tous ont l’air intéressants, mais aucun ne me fait particulièrement envie. Il serait plus sage de continuer les livres que j’ai déjà achetés…

Lorsque je m’apprête à faire demi-tour, un petit livre attire mon attention. Le titre est en japonais et le dessin sur la couverture est assez humoristique. On y voit une jeune femme asiatique les deux mains sur les joues en train de pousser un cri d’effroi. Ce cri d’effroi c’est « Nââânde !? », le titre du livre.

[D’après la définition de l’auteure, « Nââândé !? » est une interjection qui manifeste la stupéfaction et le trouble face à un acte ou un comportement jugé choquant. Les Japonais utilisent ce mot quand ils sont en état de choc, presque sans voix. En français, on pourrait traduire cette expression par « Oh ! là, là ! Mais que se passe-t-il ?? » ou « Oh ! non, ce n’est pas possible !? ».]

Ah… Ça m’a l’air intéressant comme bouquin. Je m’approche de l’étagère, et je peux voir le titre complet du livre : Nââânde !? Les tribulations d’une Japonaise à Paris. Sur une banderole rouge attachée au livre, on peut lire « Ils sont tofu ces Français ». Wow, vraiment tape à l’œil comme couverture. Je retourne avidement le livre pour lire la quatrième de couverture :

Eriko Nakamura vit à Paris depuis dix ans mais chaque jour ou presque, au restaurant, dans le métro, chez le médecin, lors d’un réveillon, d’un mariage, à l’hôtel, chez le boucher, en boîte de nuit ou dans un dîner en ville, elle pousse le même cri : Nââândé !?

Le médecin ? Le « déshabillez-vous » de nos généralistes est une terrible offense pour les Japonais : extrêmement pudiques, ils se font toujours examiner… en blouse. Le métro ? Mais où sont-ils, les jours de grève ? À Tokyo, quand les conducteurs débrayent, le trafic est… normal. Les toilettes publiques ? En découvrant le soin qu’ils apportent à ces lieux, on comprend que les nôtres leur paraissent… Nââândé !?

Avec humour, cette Japonaise fait le tour de nos façons d’être en nous expliquant comment cela se passerait chez elle. Pudeur, raffinement et volonté de ne pas se faire remarquer d’un côté. Individualisme, hédonisme et sans-gêne de l’autre. Le choc est nécessairement brutal, et les hallucinations permanentes.

Portrait décapant et inédit de la vie quotidienne à Paris, ces tribulations sont également l’occasion de découvrir, de façon ludique, le Japon au quotidien.

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Bon, je ne peux pas vous cacher que la lecture de ce résumé n’a fait que piquer ma curiosité encore plus. Je me décide alors d’attaquer les premières pages, au cas où ça serait de la publicité mensongère. La lecture du prologue ne fait que confirmer mes doutes, ce petit livre m’a l’air génial.

C’est décidé, je DOIS acheter ce livre. Par précaution, je vérifie le prix : 34$. Nââânde !??? 34 piasses (c’est de l’argot québécois) pour un livre d’à peine 200 pages! En plus, le prix en euros est affiché sur le livre : 17,25 euros. Non mais c’est un véritable scandale! Je me résigne à déposer le livre sur l’étagère, la mort dans l’âme. Trente quatre dollars c'est un peu trop pour mon budget d'aspirant-journaliste-commis-d'épicerie... Je m’en vais faire mon épicerie, moins enjoué qu’au début de la journée.

L’histoire se serait arrêtée à là… Mais, bon. Tous ceux qui me connaissent le savent : quand j’ai une idée en tête, difficile de l’enlever. Pour des raisons éthiques, je ne vous détaillerai pas comment j’ai pu me procurer la version électronique du livre…

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La lecture du livre m'a ravi au plus haut point. Nââânde est un petit livre savoureux qui se déguste comme une tablette de chocolat. Les anecdotes de la Japonaise sont succulentes. Un véritable plaisir coupable. 

Extrait :
Peu de temps après mon installation à Paris, Charles-san m’emmène à l’Élysée-Montmartre assister à un concert. Après la première partie, je préviens Charles-san que je m’absente quelques minutes. Je me dirige vers les toilettes et là, je découvre qu’il y a une queue immense. Nââândé !? N’ont-ils pas prévu assez de toilettes ? Je me mets dans la file et patiente dix minutes dehors, honteuse comme si on m’avait obligée à porter autour du cou une pancarte « J’ai envie de faire pipi ! ». (...) Quand mon tour arrive enfin, j’entre dans la cabine et... j’ai eu l’impression d’être à Woodstock ou dans un pays du tiers-monde. Impossible d’utiliser ces toilettes. (Chapitre : Les toilettes)
 
Eriko Nakamura ne fait pas que dénoncer ce qui ne va pas à Paris. Elle n’hésite pas à montrer certains points négatifs de la société nippone : le conformisme, les pratiques sexuelles « bizarres » de certains hommes japonais, les mariages arrangés…

Extrait :
Au Japon le nombre de couples “sans sexe” est très important et c’est souvent du fait de l’homme. N’ayant plus envie de faire l’amour avec son épouse ou n’y parvenant plus, il choisit donc d’autres divertissements : le fétichisme des lycéennes, les mangas et les jeux vidéo érotiques. (...) Vous pouvez acheter des culottes ou des uniformes d’adolescentes, de préférence usagés et non lavés. Ils sont vendus dans des petits paquets soigneusement emballés où figurent la photo de la collégienne ou de la lycéenne, et une petit biographie On en trouve dans tous les sex-shops mais aussi, en cas d’urgence, dans des distributeurs automatiques. Tokyo en compte une centaine ! » (Chapitre : Le sexe)

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Nââânde !? n’est pas un essai d’anthropologie. C'est un livre divertissant qui nous apprend un peu plus sur la culture et les mœurs japonaises. L’auteure nous parle de sa propre expérience pour nous donner une vision « globale » des Parisiens et des Français en général. Rien n’est raconté de façon méchante ou déplacée. Eriko reste très factuelle et respectueuse. On constate qu’elle affectionne son pays de naissance, le Japon, tout autant que son pays d’adoption, la France. Toutefois, certaines situations racontées frôlent parfois la caricature des Japonais bien élevés vs. les Français "cavaliers". Alors que des Japonais mal élevés, j'en connais quelques uns...


Nââânde !? Les tribulations d’une Japonaise à Paris, Eriko Nakamura, Éditions Nil, 2012.
Prix : 17 euros/34 dollars.